Demandez aux membres de son équipe et ils vous diront que Ghida Anani est une femme entrepreneure axée sur la mission sociale, à la pensée stratégique et au leadership qui sait encourager et stimuler son équipe. Cependant, en dehors de son réseau de partisans, la controverse n’est jamais très loin de Ghida Anani. Elle est la fondatrice de l’ONG ABAAD, Centre de Ressources pour l’Egalité des Sexes, basée à Beyrouth, au Liban.
La mission de l’organisation est de favoriser l’égalité des sexes à travers l’élaboration de mesures politiques, la réforme juridique, l’approche intégrée d’une dimension de genre, la participation des hommes, l’élimination de la discrimination et la promotion de l’émancipation des femmes à participer pleinement et efficacement dans leurs lieux de vie. Dans une société mise au défi par les conflits, le fanatisme religieux, une économie volatile, et une crise de réfugiés syriens galopante, c’est une bataille difficile. Mais Anani, connue pour être une force de la nature et un peu radicale quand elle est amenée à changer les choses, est toujours prête à relever le défi. Elle croit que la transformation durable doit se produire à tous les niveaux de la société et Ghida n’a pas peur de briser les silos en rassemblant des chefs religieux et leaders communautaires présentant des points de vue diamétralement opposés et qui, traditionnellement, ne dialoguent pas dans les mêmes endroits.
Photo de Ghida Anani – Copyright Habib Abboud
Avec une formation de travailleuse sociale, son travail a commencé avec la protection des femmes et des enfants contre la violence et l’exploitation. Continuer à offrir un refuge aux femmes et aux enfants dans les situations de violence reste une priorité pour Anani, qui le fait au travers d’ABAAD, l’organisation qu’elle a fondée. Mais sa mission a évolué pour inclure l’implication des hommes. En plus de fonder et gérer les trois premiers refuges d’urgence pour femmes au Liban, l’équipe d’ABAAD invite les hommes pour les aider à être des pères plus impliqués et de travailler aux côtés des femmes dans la lutte pour l’égalité des sexes.
« La violence prive un homme de la liberté de prendre conscience et de vivre son humanité. Et une relation violente implique deux personnes », dit Anani. « Dans notre contexte, la socialisation entre les sexes et le patriarcat ont créé une lutte continuelle entre les hommes et les femmes pour savoir qui gagnera plus de puissance et de contrôle, et c’est là où les femmes sont toujours les plus vulnérables. Pour que la justice de genre et l’équité entre les sexes voient le jour, on n’a pas d’autre choix que de travailler avec les deux composants de l’équation – si les hommes font partie du problème, ils doivent aussi être au cœur de la solution. »
« Je reconnais que cette réalité peut paraître simple, mais paver le chemin pour comprendre, s’adresser et se mêler à « un Monde d’Hommes » n’est pas si simple. C’est d’autant plus complexe dans une société et un système où la lutte pour les droits des femmes et pour la fin de la violence contre les femmes a toujours été un « Monde de Femmes », dirigé par les militantes féministes. Pour atteindre cet objectif, les hommes doivent se rendre compte du coût de la socialisation des sexes sur les hommes et les femmes ».
L’effort le plus récent d’ABAAD a eu lieu en collaboration avec Promundo, une ONG bien connue qui a pour but de « promouvoir la justice de genre et de prévenir la violence en encourageant la participation des hommes et des garçons, en partenariat avec les femmes et les filles », et soutenue par la Fondation genevoise Womanity, dont la mission est de participer à l’émancipation des filles et des femmes à façonner leur avenir et accélérer les progrès au sein de leur communauté.
L’équipe de Ghida Anani pilote un nouveau programme, l’adaptation d’une initiative à succès de Promundo appelé « Program H », qui met en place des plateformes qui permettant aux hommes et aux garçons de réexaminer les stéréotypes de genre. Grâce à ce programme, Promundo a réduit la violence conjugale parmi plus de 250 000 jeunes hommes et femmes dans 40 pays, en combinant l’éducation de groupe avec l’activisme mené par les jeunes pour atteindre l’égalité et réduire la violence. Des systèmes scolaires publics au Brésil, en Inde, en Croatie, au Chili, au Nicaragua, et d’autres pays ont officiellement adopté l’approche comme une partie de leurs programmes scolaires.
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Le contexte libanais, cependant, met à jour d’importants nouveaux défis, car ce sera la première application du programme dans un contexte qui concerne les réfugiés, où la violence contre les femmes et la prévalence des stéréotypes nuisibles entre les sexes sont plus prononcées et plus persistantes. Le Liban moderne a été façonné par la violence; les combats, exécutés principalement par les hommes, ont réaffirmé le patriarcat et l’agression comme un comportement masculin accepté. Le conflit en cours en Syrie maintient le Liban au bord du conflit, perpétuant un état d’insécurité politique et économique.
Selon une évaluation rapide menée par la Banque Mondiale en 2013, une population réfugiée en rapide croissance, inondant le marché du travail avec de la main-d’œuvre non qualifiée et peu chère, pousse une économie déjà en dette au bord du désastre, entraînant une hausse du chômage parmi les libanais, tout en réduisant le tourisme et les revenus commerciaux.
Quand les hommes ne sont plus capables de subvenir aux besoins de leur famille, la frustration peut se manifester par des comportements violents envers les femmes.
Alors que les femmes tentent d’assumer une plus grande responsabilité des revenus familiaux dans un contexte économique défaillant, c’est toujours à elles qu’incombent les tâches ménagères. Cette dissonance entre l’encouragement professionnel des femmes et les attentes et ce qu’on attend d’elles à la maison conduisent à la frustration et souvent à la violence conjugale.
« Ghida concentre son travail sur le changement d’une culture qui est à la source de la discrimination et de la violence fondée sur le sexe, plutôt que de se contenter simplement de rester en surface du problème », explique Antonella Notari Vischer, directrice de la Fondation Womanity. « Cela l’a amenée à rechercher un dialogue constructif et progressif en deçà des divisions et de tester avec courage et créativité de nouvelles approches. À Womanity, nous sommes fiers d’être en mesure de contribuer à ses efforts dans un environnement aussi complexe que celui dans lequel elle opère. »
Dans les mois à venir, Abaad va déployer Programme H au-delà de Beyrouth, y compris dans les zones rurales et, finalement, dans l’ensemble du Moyen-Orient. Par ce programme, Anani sera la porte-parole du changement avec « positivité, crédibilité, intégrité, patience et conviction. »