W4 a rencontré Patricia Schneidewind, la fondatrice et directrice de Bakhita Girls, une organisation à but non lucratif basée dans le district de Kilombero, en Tanzanie, et qui soutient les jeunes mères à travers l’éducation. Originaire d’Allemagne, Patricia a étudié à NYU, a travaillé avec BRAC au Bangladesh et prépare actuellement un documentaire sur la Palestine. À seulement 25 ans, Patricia a déjà vécu et travaillé dans 6 pays et 4 continents.
Quand avez-vous fondé Bakhita Girls ?
Pendant l’été 2008, j’étais volontaire en Tanzanie auprès d’une école primaire et orphelinat, et j’étais vraiment choquée face à l’inégalité flagrante dans la manière dont les hommes et les femmes sont traités en Tanzanie. Ce qui m’a particulièrement frappée, c’est qu’il était illégal pour les jeunes mères d’aller à l’école : si vous aviez un enfant, vous étiez expulsée de l’école. C’était la loi. Et après avoir été abandonnées par le système scolaire, ces jeunes mères adolescentes et non mariées étaient souvent rejetées par leur famille. Dans ce contexte, beaucoup de jeunes mères finissent seules à la rue avec leur bébé. Ce fut l’élément déclencheur pour lancer Bakhita Girls.
Qu’est-ce qui a inspiré la création de Bakhita Girls ?
Je visitais un centre de formation pour jeunes mères et j’ai entendu l’histoire tragique de Grace, 15 ans : orpheline depuis plus d’un an, ses parents étant tous deux décédés du SIDA, après quoi elle avait vécu chez son oncle qui l’avait mise enceinte avant de la jeter dehors. Donc cette enfant sans famille se retrouvait seule, dans le rôle stigmatisé de jeune mère, à devoir en assumer les conséquences sociales.
J’ai en parlé à beaucoup de gens autour de moi, et c’est ainsi que j’ai rencontré une femme qui travaillait pour Women Adult Education à Dodoma, la capitale. Cela faisait un moment qu’elle pensait ouvrir une école secondaire et privée afin de pouvoir contourner la loi et accueillir des jeunes mères ou jeunes filles enceintes même non mariées.
Nous avons commencé en 2010 avec un professeur et une classe de 20 élèves. La même année, la loi a changé. Ce n’était plus illégal pour les jeunes mères d’aller à l’école. Ce fut un grand tournant pour nous, car tout d’un coup, il était beaucoup plus facile et moins cher de soutenir l’éducation des filles à travers le système publique. Désormais, nous offrons des bourses scolaires aux filles et jeunes mères défavorisées.
Pouvez-vous nous présenter vos missions, vos objectifs et vos programmes ?
Au sens large, notre mission est d’aider les jeunes mères, les petites filles et les femmes issues de milieux socio-économiques défavorisés à lutter contre les injustices économiques et les discriminations sexuelles. Nous voulons aider les petites et jeunes filles à vivre plus dignement et de manière plus indépendante. Nous nous concentrons sur l’éducation, qui, en plus des connaissances, apporte confiance, estime et respect de soi. À l’heure actuelle, nous travaillons avec deux écoles secondaires et nous fournissons des bourses. Celles-ci couvrent les frais scolaires, les déjeuners, les dépenses médicales et certaines dépenses courantes que les jeunes filles ne pourraient pas financer autrement.
Mais la stigmatisation à l’égard des jeunes mères est encore très forte en Tanzanie. Nous voulons y remédier de manière plus active et déconstruire ce stigma au sein du système scolaire mais aussi au sein de la société.
Sans Bakhita Girls, aucune de ces filles ne serait à l’école. Malheureusement, les familles choisissent souvent de n’envoyer que les garçons à l’école parce que l’on considère que les filles seront femmes au foyer et n’ont donc pas besoin d’éducation. Concrètement, cela signifie que seulement 7 à 8% des filles vont à l’école secondaire. Mais l’importance de l’éducation des femmes est de plus en plus acceptée au fil des années, ce qui illustre une évolution des mentalités. Les femmes prennent peu à peu un rôle plus important au sein des communautés et les gens prennent conscience que l’émancipation des femmes est positive et doit se dérouler sur le long terme.
Quel est votre modèle de financement ?
Nous en avons deux. Le premier, assez classique, permet de faire des dons ou de sponsoriser une élève. Le second est un modèle « peer-to-peer ». Je suis intervenue dans des écoles en Allemagne pour parler des droits de l’homme et plus encore des droits des femmes en Afrique. Les élèves sont très intéressés et s’investissent beaucoup ! Certains ont récolté des fonds via des ventes de gâteaux et en ont reversé une partie à Bakhita Girls. Il est essentiel non seulement de lever des fonds mais aussi de sensibiliser à ces problématiques les nouvelles générations d’activistes qui sont en train de se former.
Pouvez-vous partager un exemple de réussite de Bakhita Girls ?
Depuis qu’elle a rejoint notre première promotion, en 2010, Zawadi a été l’une de nos meilleures étudiantes. Elle a rapidement été élue représentante de classe et étudie désormais à la Techfort Secondary School, un lycée reconnu de la région. Aujourd’hui, Zawadi est non seulement la mère aimante de deux enfants, mais aussi une véritable actrice de changement et un modèle pour les Bakhita Girls.
Qu’espérez-vous pour l’avenir de Bakhita Girls ?
Je voudrais vraiment rendre le projet localement auto-suffisant, plus indépendant des sponsors internationaux. Grâce à certaines personnes qui sont prêtes à faire dons d’ordinateurs, nous envisageons d’ouvrir un centre informatique dans l’un des villages où nous travaillons. De cette manière, les élèves pourraient être formées en informatique et nous pourrions aussi proposer des cours à des prix raisonnables pour les villageois et utiliser l’argent pour financer les bourses scolaires.
© Women’s WorldWide Web 2013