W4 a eu le plaisir d’interviewer l’artiste et la militante des droits des femmes Diariata N’Diaye, qui est également fondatrice de Resonantes, une organisation visionnaire qui propose des approches innovantes pour lutter contre la violence de genre.
Comment vous est venue l’idée de créer Resonantes ?
A la base, je suis artiste, je suis slameuse et j’ai décidé de mettre mon « talent » au service de la lutte contre les violences faites aux femmes. J’ai créé le spectacle « Mots pour Maux », en lien avec l’Observatoire des Violences Faites aux Femmes du Conseil Général de la Seine St Denis. Ce spectacle a déjà été joué près de 200 fois auprès de collégiens et de lycéens. Depuis des années, je parcours ainsi les établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes à ces questions. Mon action se décompose en trois étapes : le spectacle, puis un débat avec le public, enfin, des ateliers d’écriture. Durant ces ateliers où l’on aborde la thématique de la violence, j’ai recueilli des témoignages de jeunes filles et de jeunes garçons, victimes directes ou témoins de violences, qui parlaient pour la première fois de ces problèmes. Ca a été un choc pour moi de réaliser que j’étais la première personne à leur parler de violences, et la première personne à qui ils se confiaient. Je me suis retrouvée rapidement submergée par toutes ces confidences et j’ai constaté que les jeunes ne connaissent finalement pas grand chose de ces violences. Lorsque l’on leur demande leur définition des violences, ils sont incapables de la donner. En revanche, quand on leur explique simplement de quoi il s’agit, ils comprennent vite s’ils sont victimes …. ou même auteurs. Face à ces constats, j’ai eu envie de plus m’investir. J’ai mis en lien ces jeunes avec des associations et des structures pouvant leur venir en aide. J’ai alors réalisé que la situation était encore pire que ce que j’imaginais. Et qu’il y avait vraiment tout à faire : de l’information à la sensibilisation en passant par l’accès à l’information etc. C’est ainsi que j’ai créé « Resonantes » : des outils adaptés à ce public confronté aux violences, un public qui n’a pas accès aux informations et qui n’est pas ciblé par les campagnes de sensibilisation.
Pouvez vous nous parler des différents services proposés par Resonantes ?
Resonantes est un espace de réflexion et de création d’outils destinés à ce public en particulier. L’idée est de leur parler des violences sans faire déprimer. Le sujet est déjà suffisamment difficile comme cela ! Nous essayons aussi de trouver des moyens pour aborder ces sujets et accéder à l’information. Parmi ces outils, il y a mon spectacle. Je ne l’ai d’ailleurs jamais joué devant des gens désintéressés. Utiliser la culture est une forme qui convient au plus grand nombre. C’est un outil très adapté, qui permet de délier les langues. L’atelier d’écriture est essentiel. Il permet aux participants de prendre position, d’écrire, de s’exprimer, de parler des violences qu’ils ont subies, ou de violences dont ils ont été témoins.
Le site d’informations Resonantes.fr est assez simple, visuel et va à l’essentiel. L’idée était de vulgariser l’information sur les violences, de donner des exemples, montrer des vidéos. Et surtout ce site a pour but de concentrer l’ensemble des associations, structures et dispositifs disponibles. Il est pour moi primordial de faciliter la tâche des victimes, sachant qu’il est déjà compliqué pour elles de parler et de trouver de l’aide. L’idée était vraiment que les gens puissent se dire : sur ce site j’ai les réponses à toutes les questions que je peux me poser.
Bravo pour votre application mobile, App-Elles, qui offre aux femmes et aux filles la possibilité de créer directement des alertes en cas de violence. Comment mesurez vous l’impact de App-Elles ?
App-Elles existe depuis Février 2016. Pour moi l’idée de cette application était de répondre à tous les besoins et constats faits sur le terrain : ces besoins qu’ont les victimes de violences, d’appeler à l’aide, aussi bien leurs proches que les secours et les professionnels.
Le constat a été très simple : on peut demander à n’importe qui dans la rue de donner des noms d’associations présentes sur leur territoire, les personnes sont incapables de répondre. Les mieux informés sont les professionnels mais ce sont eux qui en ont le moins besoin !
Il est à mon avis un peu tôt pour mesurer l’impact de cette application, surtout que je ne suis pas encore allée au bout de ce que je veux faire. Pour le moment l’application est disponible sur Androïd, elle le sera très prochainement sur IPhone. Mais elle aura également d’autres fonctionnalités, qui permettront à cette application d’être vraiment complète. Lorsque toutes les structures auront été référencées sur App-Elles, elles auront la possibilité de faire elles-mêmes une démarche d’évaluation.
Je sais que nous allons dans le bon sens : je reçois déjà beaucoup de messages sur les réseaux sociaux de victimes de violences qui me remercient pour cette application, parce qu’elles se sentent en sécurité et que App-Elles correspond vraiment à leurs besoins. C’est déjà énorme.
App-Elles est un excellent exemple de la façon dont les technologies digitales peuvent être utilisées pour protéger les femmes victimes de violences. De quelles autres manières les technologies digitales permettent de lutter contre les violences à l’encontre des femmes ?
J’ai créé une application parce que je n’ai pas eu le choix, c’est pas mon truc à la base. Pour moi c’était une évidence de créer une application mobile tout simplement parce que tout le monde est équipé d’un téléphone. La meilleure façon de lutter contre les violences, c’était par conséquent d’entrer dans les téléphones. J’ai utilisé le digital pour toucher un maximum de monde. Et je constate que d’autres applications commencent à émerger. Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il y a tout à faire. Je ne sais pas quelles sont les technologies auxquelles nous aurons accès demain, ni comment on pourra les utiliser pour poursuivre la lutte. Mais une chose est certaine, il y a encore beaucoup de choses à faire dans le digital, aujourd’hui partie intégrante de nos vies, de notre quotidien. Et je fais confiance aux personnes engagées dans cette lutte. Les objets connectés vont permettre de faire avancer la lutte contre les violences faites aux femmes.
Tragiquement, les violences à l’encontre des femmes et des filles restent répandues dans le monde, y compris ici en Europe. Selon vous, qu’est ce qui devrait être fait pour stopper la pandémie mondiale de violences envers les femmes et les filles ?
Pour moi, tout passe par l’information et la sensibilisation dès le plus jeune âge, parce qu’on sait que bien souvent, les auteurs de violences sont d’anciennes victimes. C’est malheureusement un cercle vicieux. Je vois le nombre de jeunes que j’ai sensibilisés à travers le slam, je vois l’impact que cela a eu, aussi bien sur les victimes que sur les auteurs. Si personne ne dit que mettre une main aux fesses n’est pas un jeu, cela va continuer. Il s’agit vraiment pour moi d’une question d’éducation de l’ensemble de la population, mais également d’une question de prise en charge des victimes le plus tôt possible. C’est ce qui permettra à ces victimes de ne pas devenir elles même des futurs agresseurs.
Je suis bien consciente qu’il sera très compliqué de mettre fin aux violences faites aux femmes et aux filles. Mais l’idée est aussi de permettre aux victimes d’être prises en charge le plus tôt possible pour qu’elles souffrent le moins longtemps possible.
Quelles sont vos aspirations pour Resonantes dans l’immédiat et sur le long terme ?
L’idée de Resonantes est de créer une structure pérenne, que l’on puisse se concentrer sur ces créations d’outils, sur leur développement et leur diffusion. L’idée de Resonantes est de partir sur des campagnes nationales et internationales adaptées au public que l’on vise (les 15-24 ans). Nous souhaitons que l’ensemble des utilisatrices et utilisateurs de smartphone puissent avoir App-Elles sur leur téléphone. Cette application n’est pas destinée uniquement aux femmes et aux filles victimes de violences, mais à tous les publics, les proches, les témoins, les voisins etc. qui doivent être des personnes ressources pour les victimes de violences. Grâce à cette application, on a accès à toutes ces informations pour permettre à toutes et à tous de venir en aide à sa copine, son copain, sa mère, son voisin etc. Nous voulons créer de vraies structures où les jeunes et les professionnels en contact de notre public pourront venir se renseigner sur les dispositifs qui existent, où ils pourront avoir accès aux outils que nous créons. Nous réfléchissons à des jeux de société, même à des jeux vidéo etc. Il y a tellement à faire, nous avons énormément de projets avec Resonantes.
Comment est-ce que les individus peuvent soutenir votre travail ?
En diffusant les outils existants, et en nous soutenant financièrement. Nous souhaitons que toutes les actions menées par Resonantes soient gratuites et pour qu’elles le soient, nous avons besoin de financements.
Un dernier mot ?
Je pense qu’on arrivera à faire reculer les violences faites aux filles et aux femmes, les choses avancent et ensemble, on va y arriver ! On est nombreuses et nombreux à apporter une pierre et c’est rassurant. On ne se sent pas seuls. Même si les victimes se sentent seules, elles ne le sont pas ! On est nombreuses et nombreux à être solidaires !