Sylvie Deleval, sage-femme, a participé à une mission de 3 semaines en Jordanie au sein du camp de réfugiés syriens de Zaatari, avec Gynécologie Sans Frontières. Fondée en 1995 par des gynécologues et des sages-femmes, cette association vise à améliorer le statut et la dignité de la femme dans la société en se concentrant sur de nouvelles pratiques de la santé publique dans le monde. De retour en France, Sylvie nous fait partager son expérience.
À l’heure actuelle, la Jordanie accueille sur son territoire plus de 510 000 réfugiés syriens ayant fui la guerre civile. Les réfugiés ne jouissent pas de la liberté de circulation mais sont répartis entre plusieurs camps. Parmi eux, le camp de Zaatari. En juillet 2013, soit environ un an après son ouverture, le 28 juillet 2012, il compte entre 115 000 et 150 000 réfugiés, ce qui en fait la cinquième ville la plus importante de Jordanie en termes de population.
Le couloir et salle d’attente de la maternité |
À Zaatari, les enfants et les femmes sont largement majoritaires. Au sein du camp militaire français et de son hôpital de campagne, l’association Gynécologie sans Frontières s’occupe des consultations de fin de grossesse et des accouchements sans complication.
Au sein de notre équipe, nous étions huit à nous relayer 24h sur 24 : deux gynécologues, quatre sages-femmes ainsi qu’une logisticienne et un aide-soignant de l’association Pompiers Solidaires. En trois semaines, nous avons assisté une centaine d‘accouchement et dispensé plusieurs centaines de consultations.
Un gynécologue de l’hôpital de campagne de l’armée marocaine voisin était en mesure de réaliser des césariennes lorsque l’unique bloc opératoire du camp est libre. Une petite maternité jordanienne fonctionne dans le camp avec deux lits seulement. En cas d’urgence, les femmes sont transférées à l’hôpital d’Al Mafraq, situé à une douzaine de kilomètres du camp.
J’ai été très touchée par les femmes et les jeunes filles (les plus jeunes avaient 14 ans) que nous avons reçues. Elles venaient pour la plupart de la région de Dara, proche de la frontière. Leur niveau d’éducation était plutôt bas, elles avaient été mariées très jeunes et avaient beaucoup d’enfants. Il n’était pas rare d’accoucher d’une part des femmes ayant déjà eu 8, 9 ou 10 enfants voire plus, mais aussi de nombreuses jeunes filles mineures.
Sylvie avec l’un des nouveau-nés |
Ces femmes nous ont montré leur courage et leur reconnaissance. De notre côté, nous avons essayé de respecter leurs traditions. Ici pas d’hommes. Chaque femme arrive avec une accompagnatrice : une belle-mère, une sœur, une mère qui porte un petit sac plastique avec le strict minimum pour la maman et le bébé. Souvent juste un linge et un ruban pour emmailloter l’enfant qui ressemble ensuite à une petite momie ! Elles accouchent habillées et il est même parfois difficile de leur retirer le foulard afin qu’elles soient un peu plus à l’aise. Dans tous les cas, elles le remettent dès qu’elles passent le couloir.
Une petite fille de corvée d’eau |
En plus des difficultés dues à ce mode de vie rural et traditionnel s’ajoutent dans le camp les douleurs de la guerre et de l’exil : pauvreté, mauvaises conditions sanitaires, veuvage, séparation des familles. Celles-ci arrivent au sein du camp le plus souvent de nuit, où elles sont enregistrées par les autorités jordaniennes. Elles se voient attribuées un numéro de réfugié, noté sur une carte qui sera le sésame pour obtenir toutes les aides matérielles : tente ou algéco, couvertures, nourriture et accès aux services dispensés par l’UNHCR ou les ONG. Nous-mêmes, nous devions impérativement vérifier ces fameuses cartes et en noter le numéro afin d’effectuer les démarches de déclaration des naissances. Les fausses déclarations de naissance peuvent être tentantes car elles donnent droit à certains avantages pour les familles concernées.
Une femme et des filles près d’une citerne |
L’UNICEF nous livrait parfois des colis destinés aux nouveau-nés. En les portant, nous avons remarqué des différences de poids : pendant le transport, ces colis sont méthodiquement pillés et puis refermés. Malheureusement, la corruption fait également partie de la vie au sein du camp.
Le camp est surveillé jour et nuit par l’armée jordanienne et il n’est pas question d’en sortir sans autorisation. Les réfugiés s’y sentent prisonniers. L’eau n’arrive que par camions qui remplissent des citernes dispersées dans le camp. Ensuite, les femmes et les enfants vont y remplir des bidons. Il n’y a pas un brin d’herbe. Le climat est très sec et la poussière s’infiltre partout. Les journées sont très chaudes mais il fait froid la nuit.
J’ai beaucoup appris de ces femmes, de la vie dans un camp militaire, du soutien de l’équipe dans des conditions de travail difficiles : peu de moyens techniques, pas toujours d’eau, de la poussière partout, un climat rude.
Depuis, j’ai retrouvé ma vie dans un pays en paix et je pense beaucoup à elles qui restent là-bas, nul ne sait pour combien de temps. J’espère qu’au-delà de la guerre, leur société évoluera suffisamment pour qu’elles connaissent enfin le respect. J’espère qu’elles pourront vivre leur vie d’enfant et d’adolescente en ayant accès à l’éducation, aux soins et à la liberté.
© 2013, Women’s WorldWide Web