Rencontre avec les deux créatrices de Jho (Juste et Honnête) qui se sont donné pour mission d’améliorer l’accès aux produits d’hygiène menstruelle pour les filles et les femmes défavorisées du monde entier.
W4 est fier de s’associer à l’entreprise sociale Jho qui reverse désormais un pourcentage de ses ventes à l’un des programmes de W4 au Cameroun, Girls Excel, dont l’objectif est de sensibiliser les jeunes filles défavorisées à la question de l’hygiène menstruelle et de leur fournir des protections réutilisables.
L’équipe éditoriale de W4 s’est entretenue avec les deux pionnières françaises et entrepreneuses sociales Dorothée Barth, ancienne journaliste santé et Coline Mazeyrat, ancienne chargée de marketing qui ont fondé ensemble Jho. La marque propose une gamme de produits hygiéniques (tampons, serviettes et protège-slips) certifiés bio et livrés à domicile !
© Dorothée Barth (à gauche) et Coline Mazeyrat (à droite), co-fondatrices de Jho
Comment l’idée de créer Jho est-elle née ?
En ce qui me concerne (Dorothée), j’étais journaliste santé, et j’ai eu la chance de croiser la route d’un américain qui venait de monter un incubateur de startups à impact social ou environnemental à Nantes, où nous sommes basées. J’avais postulé pour faire de la communication pour cet incubateur mais quand on m’a proposé de créer cette nouvelle marque de protections hygiéniques bio par abonnement, j’ai dit oui tout de suite : je connaissais le scandale de la composition des produits vendus en supermarché qui contiennent de la cellulose blanchie au chlore et des matières plastiques. Comme je ne souhaitais pas me lancer seule, j’ai tout de suite proposé l’aventure à mon amie Coline, consommatrice engagée dans le bio depuis longtemps. On avait les mêmes ambitions, les mêmes valeurs, la même envie de monter un projet qui a du sens.
Les périodes menstruelles sont devenues un sujet dont on parle de plus en plus et nous nous en réjouissons, même si nous ne partageons pas forcément certaines approches frontales du type « montrons les poils et le sang ». Nous avons rencontré beaucoup de femmes pour comprendre leurs attentes. « Je me sens dupée par les grandes marques, je cherche une marque en qui je puisse avoir confiance, quelque chose de doux, de rassurant », nous a confié la majorité des femmes. C’est en les écoutant qu’on a choisi de développer cette gamme « Juste et Honnête » de produits d’hygiène.
Pourquoi avoir fondé une entreprise sociale plutôt que classique ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Notre but n’est pas de devenir millionnaires mais d’inventer des solutions pour aider les femmes, leur permettre plus d’autonomie dans leur vie et améliorer leur qualité de vie. Ce sont ces aspects collaboratifs et solidaires de notre travail qui nous motivent au quotidien. On s’est vraiment découvert un esprit d’entreprise pour tout dire. On s’amuse beaucoup au quotidien, on apprend, on découvre et on se sent utiles.
Pourquoi avez-vous opté pour l’hygiène féminine bio ?
Premièrement, tout le monde n’a pas accès aux magasins bio ; proposer la livraison de produits biologiques à domicile répond donc à cet obstacle. Par ailleurs, lors de notre étude de marché, nous avons effectué des tests dans les rayons d’hygiène féminine d’un supermarché afin d’analyser ce que les femmes achetaient. Trois quarts des femmes interrogées déclaraient ne pas avoir d’autre choix que celui d’acheter les produits des grandes marques classiques. Elles disaient savoir que c’était mauvais mais n’avaient pas d’idée, pour la plupart, qu’il existait des alternatives bio.
En outre, les récentes révélations autour de la composition des protections hygiéniques ont mis en lumière l’existence d’un réel besoin de changement chez les utilisatrices. Il faut tout de même rappeler que la paroi vaginale est l’une des zones les plus absorbantes du corps et que certains produits d’hygiène testés contiennent des traces de chlore… Il y a de quoi s’interroger !
Les conséquences peuvent être très graves (hausse de l’infertilité, cancers, etc.) et nous voulons plus de justice à cet égard. C’est un sérieux sujet de société et nous souhaitons contribuer au changement des mentalités et des pratiques pour un monde plus sain, plus juste et honnête !
Que souhaitez-vous accomplir ? Où voyez-vous votre entreprise dans 10 ans ?
En termes de résultats, nous aimerions que le principe d’acheter des protections bio devienne une habitude pour les femmes et un réflexe pour les adolescentes. L’idéal serait que les ventes des grandes marques, que nous jugeons toxiques, reculent sur le marché et que les protections bio deviennent à leur tour la norme.
Dans cette optique, sensibiliser les adolescentes est un enjeu primordial. Elles n’ont pas forcément le réflexe d’effectuer des recherches sur le sujet et n’ont pour unique référence que les publicités des grandes marques. Il faut faire confiance aux jeunes générations pour changer les mentalités mais, pour cela, elles ont besoin d’être guidées et informées sur les conséquences des produits toxiques et les alternatives existantes.
Autre objectif, comme nous sommes parfaitement conscientes qu’acheter des protections bio n’est pas à la portée de toutes les femmes, nous aimerions adapter nos prix en fonction de la situation sociale des consommatrices pour que chaque femme puisse avoir accès à des produits sains.
A plus long terme, nous envisageons d’élargir notre gamme de produits avec, entre autres, des serviettes post-accouchement, et des coupes menstruelles. Nous aimerions aussi établir des partenariats avec des marques qui travaillent sur des thématiques différentes de la nôtre mais soient connexes, comme la cosmétique bio par exemple. Tant que l’on se rejoint sur les aspects éthique et bio, tout est envisageable.
À quelles difficultés avez-vous fait face en créant votre entreprise ? Le fait d’être des femmes a-t-il représenté un frein ?
En se lançant toutes les deux dans cette aventure entrepreneuriale, nous avons remarqué que beaucoup de personnes donnent leur avis sur à peu près tout. Notre credo est donc que tous les avis sont bons à écouter mais pas tous bons à prendre. Nous sommes ouvertes aux conseils et décidons ensemble de les appliquer ou non ; ce qui compte avant tout, c’est notre perception à toutes les deux.
Quant au fait d’être des femmes, cela n’a pas été un obstacle dans nos démarches face, par exemple, aux investisseurs. Curieusement, ce sont surtout des femmes qui se sont montrées moins solidaires ; certaines se sont battues toute leur vie pour évoluer dans un monde professionnel d’hommes et arriver où elles en sont et, parfois, ont adopté des postures sexistes et condescendantes autant, voire plus, que les hommes. Au-delà de ça, nous ne nous sommes pas senties freinées en tant que femmes. Il faut aussi tenir compte du fait que notre produit s’adresse exclusivement aux femmes et que les hommes restent généralement en retrait sur les sujets liés à l’hygiène féminine. C’est un peu comme s’il leur était tacitement interdit d’en parler ou de donner leur avis sur ce sujet.
Globalement, nous avons été très bien épaulées et continuons à avancer selon notre ressenti. Bonne ambiance et bienveillance sont nos mots d’ordre !
Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans l’entreprenariat ?
Le premier serait justement celui que j’évoquais plus haut et que nous appliquons nous-mêmes : « tous les avis sont bons à écouter mais pas tous bons à prendre ». Il faut accorder de l’importance aux relations humaines et bien choisir les personnes qui nous entourent et en qui on peut avoir confiance. A partir de là, il ne faut pas hésiter à s’associer ! Être à deux permet de relativiser, de se soutenir mutuellement, d’avancer chaque jour en gardant du courage. Cela a très bien marché pour nous. Enfin, le plus important est la confiance en soi. Créer une entreprise est difficile, qu’elle soit sociale ou non. Le premier frein est souvent celui qu’on met soi-même en se disant : « je n’y arriverai jamais ». C’est faux !
Qu’en est-il de la certification écologique de vos produits ?
Notre coton est biologique mais pas seulement puisqu’il est certifié par ICEA selon le référentiel GOTS : Global Organic Textile Standard, dès sa sortie de l’usine de fabrication. Cette certification garantie un parcours éthique du produit depuis la récolte des matières premières jusqu’à la fabrication qui doit être responsable d’un point de vue social et environnemental et jusqu’à l’étiquetage, afin de fournir une garantie fiable au consommateur final. Une fois la matière première (le coton bio) arrivée à l’usine, des nouveaux tests encore plus exigeants sont pratiqués. Pour le reste, l’emballage individuel que nous utilisons pour les serviettes est en plastique végétal et biodégradable, et l’adhésif utilisé est fabriqué à partir de plantes.
Quelle est la provenance de vos produits ?
Le coton est produit en Inde, au Pakistan et en Turquie. La conception et la fabrication se font en Espagne.
Les produits sont-ils uniquement destinés à la France ?
Actuellement, nos produits sont essentiellement vendus en France et quelques autres pays francophones. Nous aimerions que la marque soit présente sur le marché européen et au-delà. Nous voulons atteindre un maximum de femmes à travers le monde entier !
Pourquoi collaborez-vous avec des ONG ?
Des milliers de filles et femmes aujourd’hui dans le monde n’ont toujours pas accès à des produits hygiéniques de base. C’est un volontariat de 2 ans en brousse à Madagascar auprès de femmes et de jeunes filles qui m’a permis d’en prendre conscience, et Coline était à 200% avec moi sur cet aspect du projet Entrer en partenariat avec une ONG a beaucoup de sens pour nous à cet égard ; nous l’avons souhaité depuis le départ. Et beaucoup de nos clientes nous disent être heureuses de se sentir utiles en plus d’acheter pour elles des protections saines !
En quoi consiste le partenariat entre Jho et W4 ?
C’est très simple, pour chaque boîte de produits hygiéniques achetée, une partie des bénéfices est reversée au programme Girls Excel, soutenu par W4 au Cameroun. Ce programme a pour objectif d’apporter une réponse durable aux filles vivant en milieu rural ou dans les camps de réfugiés en leur offrant des protections hygiéniques lavables et réutilisables. Le projet Girls Excel forme aussi les femmes des communautés rurales à la fabrication de ces serviettes hygiéniques. En plus d’améliorer la qualité de vie des filles et des femmes qui les utilisent, cela permet d’établir des moyens de subsistance durables pour ces femmes qui augmentent leur revenu, gagnent en autonomie et contribuent à la santé économique et au bien-être de la communauté tout entière !
© Projet de W4 au Cameroun, Girls Excel
Découvrez le programme de Girls Excel soutenu par W4 et Jho au Cameroun et la manière dont vous pouvez les soutenir : Favoriser l’accès à l’hygiène menstruelle pour les filles des zones rurales et des camps de réfugiés au Cameroun
Découvrez le site de Jho : https://jho.fr