L’Association pour la Promotion du Développement Local (APDEL) est une association camerounaise qui œuvre pour les droits des personnes vulnérables et essentiellement ceux des enfants. Grâce à son partenariat avec W4, APDEL met en œuvre un projet ambitieux pour mettre fin aux mariages d’enfants à travers la création d’une application mobile, la formation de groupes de jeunes, la sensibilisation de toute la population et le soutien à l’autonomisation des survivantes de mariages d’enfants.
W4 a pu échanger avec Odile Dongo (à gauche), présidente exécutive, et Brice Nguevou (à droite), vice-président de l’association, à l’occasion du lancement de la nouvelle application mobile d’APDEL le 11 octobre 2020 (Journée Internationale des Filles).
Quels sont les enjeux actuels concernant les mariages d’enfants au Cameroun ?
Odile : En Afrique et au Cameroun en particulier, la pauvreté, le faible niveau d’éducation, les pratiques culturelles et le statut inférieur encore attribué à la femme perpétuent les mariages d’enfants. En effet, les filles des ménages pauvres sont plus susceptibles de se marier avant l’âge de 18 ans que celles des familles plus aisées. Pour les parents, marier leurs filles est non seulement un moyen pour eux de se défaire des charges liées à leur éducation, mais en plus d’obtenir l’argent issu de leur dot. Par ailleurs, le manque d’éducation prive la jeune fille d’une formation complète, réduisant ainsi sa participation à la prise de décision sur sa propre vie et son futur pouvoir d’achat. Dans certaines cultures, marier la jeune fille avant sa majorité préserve la famille du déshonneur, car une éventuelle grossesse avant le mariage serait source de honte pour la famille et réduirait considérablement ses chances de trouver un mari. Mais quelle qu’en soit la cause, le mariage d’enfants affecte la santé mentale et physique de la jeune fille, perpétue le cycle de la pauvreté dans les familles et freine le développement de la société.
Brice : Le mariage des enfants est un phénomène enraciné dans les pratiques traditionnelles et religieuses dans toutes les 10 régions du Cameroun. Dans les régions de l’Ouest, du Centre et du Nord-Ouest, le projet “Être une fille est un droit” a été mis en œuvre par APDEL, l’Institut pour les Droits Humains et le Développement en Afrique (IHRDA), Initiatives Durables (ID), et le Centre International Bilingue d’Accueil et d’Encadrement des Enfants Vulnérables Atela (CIBAEEVA) pour lutter contre le mariage et harcèlement sexuel des enfants. Les parents, les jeunes filles et les acteurs/leaders qui favorisent cette pratique ignorent l’ampleur de ses conséquences néfastes sur la vie de l’enfant, de la communauté et du pays tout entier. C’est pourquoi l’action d’APDEL vise à les sensibiliser en vue de favoriser un changement de comportement.
Quels types de services propose votre application mobile ? En quoi est-elle une méthode de sensibilisation innovante et efficace ?
Odile : Le mariage et le harcèlement sexuel des enfants sont les thèmes abordés dans l’application mobile de lutte contre les violences basées sur le genre. Elle a ceci de particulier qu’une fois téléchargée gratuitement, son utilisateur aura un accès illimité aux informations clés sur ces problématiques. L’application offre également à l’utilisateur la possibilité de tester ses connaissances grâce à un quiz et propose en outre à toute personne dans le besoin de demander de l’aide grâce à l’onglet “contact” de l’application. A l’ère des réseaux sociaux, cette application offre l’opportunité de toucher le plus grand nombre, et surtout d’informer offline car une fois l’application téléchargée dans un téléphone, l’utilisateur n’a plus besoin de connexion internet, ce qui est crucial, notamment dans les zones reculées où les populations n’ont pas régulièrement accès à une connexion stable.
Les leaders traditionnels et acteurs locaux sont-ils réceptifs à votre démarche de sensibilisation ? Avez-vous rencontré des obstacles ?
Odile : La sensibilisation à travers l’application a été saluée par les parties prenantes au projet. Seulement, tous les leaders traditionnels et acteurs locaux n’adhèrent pas à la lutte contre le mariage d’enfants. Le poids de la tradition fait que certains leaders et parents pensent que lorsqu’une fille a ses menstruations et/ou commence à désobéir aux parents, elle doit se marier. Mais heureusement, la majorité des personnes touchées par le projet ont été favorables aux actions entreprises et plusieurs d’entre elles ont également changé leur comportement après avoir participé à au moins une activité de sensibilisation. Plusieurs chefs traditionnels ont entrepris des actions concrètes dans leur communauté, à l’instar de l’organisation de causeries éducatives avec les parents et la sensibilisation des notables. Sa Majesté Dombou Nestor, Chef du village Ngui, à Dschang (région de l’Ouest) a déclaré « Moi Chef traditionnel, je ne me vois pas encore aujourd’hui motiver mes sujets à faire le pire. Le pire, c’est de ne pas accepter que nos enfants aillent à l’école et de les envoyer en mariage à des âges non autorisés ». Ce Chef, lors des rencontres avec d’autres chefs de village ne manque pas d’aborder avec ces derniers le sujet du mariage d’enfants.
Pouvez-vous nous parler des « Groupes Communautaires de Jeunes » que vous avez formés pour qu’ils interviennent sur le terrain auprès des populations ?
Odile : Nous travaillons avec deux types de Groupes Communautaires de Jeunes, notamment les groupes en communauté avec qui nous travaillons dans les quartiers (25 au total), et les groupes de jeunes en milieu scolaire, généralement appelés clubs scolaires (26 au total). Cibler ces groupes nous permet de toucher la couche de la population la plus vulnérable au risque de mariage d’enfants et de harcèlement sexuel : il est important de les impliquer dans la lutte en les sensibilisant sur les dangers auxquels on s’expose en se mariant avant le moment requis ou en succombant à la pression d’un harceleur.
Brice : Nous sommes convaincus qu’un travail collectif permet de donner à nos messages une plus grande portée. C’est pourquoi nous avons décidé d’impliquer les jeunes en tant qu’acteurs de la sensibilisation. Les jeunes s’adressent aux autres jeunes avec dynamisme et proximité, ce qui facilite le dialogue avec les adolescents bénéficiaires et facilite leur compréhension des thèmes abordés. De cette manière, nous souhaitons responsabiliser tous les jeunes à prendre part activement au changement de leur société.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur le programme destiné aux femmes survivantes de violences/mariées très jeunes ? Quels types d’Activité Génératrice de Revenu (AGR) parviennent-elles à mettre en place ?
Odile : Notre programme cible non seulement les jeunes filles, mais aussi les femmes qui se sont mariées avant 18 ans, qui n’ont pas eu la chance de poursuivre leurs études après leur mariage et qui n’exercent aucune AGR. Il consiste à former et octroyer un appui financier aux survivantes de mariage d’enfants, l’objectif étant que les AGR financées puissent produire des revenus permettant à ces femmes de scolariser leurs enfants, eux-mêmes étant potentiellement à risque d’un mariage précoce. Les AGR menées par les femmes sont diversifiées et peuvent être classées en 2 grands groupes : le petit commerce (vente de denrées alimentaires pour la plupart, petit matériel, mécanique etc.) et l’agriculture (culture de maïs, haricots, légumes).
Comment envisagez-vous le futur de l’application et son impact sur les communautés ?
Odile : Après le déploiement de l’application, notre souhait est qu’elle soit téléchargée au maximum et utilisée par la communauté pour s’informer sur le mariage et le harcèlement sexuel. Développer aussi sa version anglaise est nécessaire pour toucher le plus grand nombre et permettre aux personnes d’expression anglaise d’avoir aussi accès à l’information car le projet est mis en œuvre dans les zones d’expression anglaise et française. Deux régions anglophones du Cameroun, notamment le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, sont secouées par une crise qui dure depuis 4 ans et qui entrave le bon déroulement de l’année scolaire, exposant les jeunes filles et garçons à l’abandon scolaire. Quant aux filles, elles sont surtout exposées au risque d’un mariage précoce et forcé. Nous espérons, à travers cette application, faire parvenir nos messages de sensibilisation auprès des populations concernées de ces régions. Enfin, au fur et à mesure que l’application sera utilisée, des modifications seront apportées afin de l’améliorer.
Globalement pour APDEL, nous souhaitons continuer à établir des partenariats pour que notre travail soit diffusé sur un maximum de plateformes. Grâce à notre partenariat avec W4, nous avons pu développer cette application qui va élargir notre sphère d’influence et nous permettre de transmettre l’information gratuitement à la communauté et surtout aux jeunes. Les jeunes et les victimes silencieuses vont pouvoir accéder sans intermédiaire et sans crainte à l’information, s’exprimer en partageant leurs difficultés et recevoir des réponses et un soutien de la part de notre équipe en toute confidentialité.
Nous remercions tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce projet : l’Union européenne, W4 (Women’s WorldWide Web), Emmanuel Moupojou Matango le concepteur de l’application, sans oublier toute la grande équipe du projet “Être une fille est un droit”.
Souhaitez-vous dire un dernier mot à nos lectrices et lecteurs ?
Odile : Vous pouvez soutenir les nombreuses activités d’APDEL et nous aider en partageant notre application mobile sur vos sites, autour de vous et sur les réseaux sociaux. Plus l’application sera téléchargée, plus l’impact de notre travail et de nos messages pour mettre fin au mariage d’enfants sera fort. Merci.
Brice : L’action d’APDEL permet aux femmes et aux jeunes filles de faire entendre leur voix. Ces jeunes filles sont un pilier dans le mouvement de transformation de la société, le moteur de l’évolution culturelle et sociale, et nous devons les aider à réaliser leur potentiel !
Découvrez la manière dont vous pouvez soutenir ce projet : Une application mobile pour mettre fin aux mariages d’enfants au Cameroun